René Barjavel est l’un de mes auteurs de science-fiction préféré, avec Philip K. Dick ; ses romans sont moins « noirs » que ceux de ce dernier, mais bien souvent tout aussi désespérés. Parmi les plus connus de ses romans d’anticipation, on peut citer le très magnifique « la Nuit des Temps » ainsi que Ravage, le Grand Secret, le Voyageur Imprudent, ou encore L’Enchanteur dans lequel il revisite avec beaucoup d’humour la quête des chevaliers de la Table Ronde … Il est aussi connu grâce à d’autres romans tels que Tarendol et les Chemins de Katmandou.
De 1969 à 1975, il a aussi écrit une suite de chroniques (Les Années de la Lune, Les Années de la Liberté et Les Années de l’Homme) que j’ai eu le plaisir de découvrir par hasard dans l’étal d’un bouquiniste. Celles-ci sont le fruit de ses réflexions sur les événements de cette époque, mais le plus étonnant est la vision dont il faisait preuve quant à leurs évolutions futures, en effet il évoquait déjà à cette époque les nombreux problèmes que risquait de rencontrer notre société actuelle (chômage, pollution, entassement des populations, délinquance, etc.).
Dans une chronique écrite en 1972, il y évoque le docteur Paul Carton et voici ce qu’il en dit :
Toute la diététique moderne est sortie de l’œuvre de Carton. Il a été pillé et copié par tout le monde, chacun ajoutant à ce qu’il lui prenait sa petite ou grosse erreur personnelle, pour avoir l’air de faire œuvre originale. Son nom n’était jamais cité. Les étudiants en médecine d’aujourd’hui n’ont jamais entendus parler de lui. Mais son livre « la cuisine simple » qui contient l’essentiel de sa doctrine, plus des recettes et des menus, a été tiré peu à peu à plus de cent mille exemplaires, et continue à se vendre tous les jours. La vérité se répand par la base, comme dirait les syndicalistes… Cette vérité est basée sur le bon sens. Une maladie, dit Carton, est une crise réglée et une alimentation agressive, insuffisante ou trop riche. Pour supprimer la maladie, il ne suffit pas d’effacer les symptômes à coup de médicaments, car le mal ainsi repoussé reparaîtra plus tard, sous la même forme ou sous une autre. Il faut « supprimer la cause », c’est-à-dire régler sa vie et son alimentation. Et l’effet, c’est-à-dire la maladie, disparaîtra tout seul.
Régler son alimentation est encore possible. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce qui est important, ce n’est pas tellement de trouver des aliments « naturels » mais d’éviter certains aliments qui sont naturellement « nocifs » et de composer avec les autres une synthèse nutritive adaptée à son propre tempérament.
Régler sa vie devient par contre de plus en plus difficile, sinon impossible. On ne peut pas éviter de vivre à la ville, d’en subir les contraintes et les empoisonnements. Mais avec une bonne hygiène alimentaire on peut mieux leur résister et essayer de rester bien portant, ce qui est une bonne médecine.
Et de terminer avec cette conclusion :
Maintenant, mes amis pharmaciens vont m’envoyer des tueurs ; et des lecteurs, scandalisés après avoir mis le nez dans Carton, des lettres d’injures. Tant pis, il fallait qu’un jour j’écrive cela, par amour de la vérité, et par reconnaissance. Je ne peux m’en expliquer plus longuement, la place me manque, et aussi la compétence : je ne suis pas médecin. Je le regrette. Je regrette aussi de n’être pas musicien et peintre, et astronome, et Leprince-Ringuet, et jeune homme, et oiseau… Il faut faire avec ce qu’on est.
René Barjavel – Les Années de la Liberté (26 novembre 1972)