Fumeux car c’est bien d’enfumage de la part du gouvernement dont il s’agit…
Exceptionnellement, je reprends intégralement un texte paru sur Linuxfr.org, blog normalement consacré (comme son nom l’indique…) plutôt à Linux et son environnement, mais où l’on y trouve parfois des articles de fond intéressants et documentés. Tel celui ci-dessous publié sous Licence CC by-sa, paru début décembre 2019 et qui explique par quels miracles le gouvernement est passé d’une sécu quasiment à l’équilibre, voire avec une prévision excédentaire pour les années à venir, à une situation ubuesque où nos élus ont volontairement plombé les comptes de celle-ci.
L’affirmation que ce qu’on appelle « trou de la Sécu » est une volonté politique pourra soit vous sembler saugrenue, soit évidente, que vous soyez au fait du fonctionnement du financement de cette institution ou pas, ainsi que dépendant de vos connaissances en comptabilité. Mais cette dette, due à un déficit récurrent, est bien une décision de nos hommes politiques, que nous élisons.
Vous avez sûrement entendu parler des déboires de la santé publique en France cette année, aussi bien par les récentes grèves des urgences que des problèmes dans les hôpitaux publics. Un rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale de juin dernier, commentant les résultats de l’année 2018 écoulée et le Plan de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS, que les députés votent chaque année) de 2019, notait les difficultés de financement de notre système de santé et les problèmes de la dette. Le Monde indiquait que « Le déficit de la Sécurité sociale va replonger en 2019 » pour atteindre entre « −1,7 milliard d’euros et −4,4 milliards d’euros ».
Pourtant, un an plus tôt, en juin 2018, le rapport de la même commission sur l’année précédente était à l’inverse très optimiste, et Le Monde annonçait « Les comptes de la Sécurité sociale presque à l’équilibre fin 2018 », l’édito du lendemain allant même jusqu’à évoquer le « débat à venir sur les excédants » : 3,3 milliards d’euros en 2019, voire 7,7 milliards en 2020 ! Il prévoyait une résorption totale de la dette en 2024… En septembre 2018, le même journal annonce triomphalement « La Sécurité sociale enfin dans le vert ».
Mais que s’est‑il passé entre les deux ? Pourquoi un revirement si radical ?
Entre les deux, c’est début décembre 2018, lors des discussions du PLFSS de 2019 à l’Assemblée nationale. En parallèle, dans la rue, le mouvement des gilets jaunes commence à devenir sérieux : on en parle dans les bureaux et en famille, ça n’est plus une manifestation décriée comme à ses débuts. Pourtant, les députés de la majorité n’en ont que faire, et la tension est très palpable à l’assemblée, avec des débats très tumultueux, comme relaté dans le rapport de la séance, avec beaucoup de rappels au règlement et des motions, où des députés opposés au projet (LFI et LR) dénoncent le malaise social devant les portes du palais et le cynisme du vote d’une telle trahison envers le peuple. La dissonance entre les députés LaREM qui parlent de « comptes à l’équilibre » et la vérité de leurs agissements fait peur.
L’issue du vote du financement ? Une diminution des cotisations patronales pour la Sécurité sociale de 6 points, soit presque la moitié du financement de la Sécu par ce biais ! Soit un total de 20 milliards d’euros en moins pour la Sécu cette année, ainsi que probablement les suivantes. Il est prévu de compenser partiellement cette diminution de cotisation par un prélèvement sur la TVA, ainsi qu’une augmentation de la CSG. Ce passage d’un financement autonome de la Sécu (puisque l’argent arrive directement des entreprises à la Sécu sans passer par l’État) à une subvention dépendant du bon vouloir de l’exécutif est dénoncée par certains comme compromettant dangereusement le budget de la Sécu. Ils pressentent une modulation des financements de l’exécutif empêchant de prévoir un budget qui soit un minimum à l’équilibre dans les années qui viennent. Cette prémonition se montre vraie… Quelques mois plus tard, en septembre dernier, où l’État annonce ne pas compenser les financements qui avaient été annoncés mais finalement pas accordés en raison des cadeaux faits par Macron pour calmer les gilets jaunes, comme l’avancement de la date d’exonération de cotisation sur les heures supplémentaires ou celle de la diminution de la CSG pour les retraités ! On croit rêver : on sacrifie la Sécurité sociale pour faire des cadeaux temporaires suite au malaise créé, entre autres, par le non‐financement de la Sécu ! Quelle propagande.
Cette diminution drastique du budget de la Sécu peut passer inaperçue parce qu’elle s’est faite sur la partie dite « patronale » des cotisations sur les salaires : c’est-à-dire la partie qui ne fait pas varier la somme nette que vous recevrez à la fin du mois, mais celle qui sera payée au-delà du brut que vous avez négocié avec votre employeur. Elle sert à financer la santé, les retraites, les prestations familiales et le chômage : c’est du salaire socialisé. C’est pratique pour augmenter les recettes de l’État et autres institutions publiques sans mécontenter les citoyens (qui ne voient pas leur salaire bouger), mais ça n’était pas souvent utilisé pour faire plaisir aux patrons à ce point. Allez regarder votre fiche de paie cette année par rapport à l’année dernière : la ligne de cotisations patronales pour la Sécu (branche maladie) est passée de 13 % à 7 % ! Cela représente à la grosse louche une diminution de 4 % des sommes payées sur le travail par les entreprises en 2019, c’est gigantesque ! Et tout cela a en plus été exceptionnellement ajouté à la continuité de l’exonération du CICE — la fin de cet avantage fiscal ayant été explicitement cité comme nécessitant une autre diminution de cotisation, en l’occurrence celle de la Sécurité sociale — qui se prolonge sur 2019, elle aussi valant 20 milliards d’euros, ce qui fait au total un cadeau de cotisations patronales de 2 points de PIB pour 2019 (40 milliards d’euros) ! Vous rendez‐vous compte ? Deux pourcents de la richesse de la France ont été troqués contre des allègements pour les entreprises françaises, aux dépens de la Sécurité sociale et d’autres œuvres publiques (celles dans lesquelles on a pioché pour compenser en partie la baisse du financement de la Sécu). Alors, vous étonnez‑vous de l’état des hôpitaux et de la santé en France ?
Bien sûr, à un moment, il faut faire des choix (c’est l’objet de ce journal), et on n’aurait pas choisi ce transfert de richesse vers les entreprises privées, certaines auraient sûrement eux plus de difficultés cette année, voire auraient périclité. Mais quel est le plus important aujourd’hui ? La santé de tous ou soutenir des entreprises de moins en moins tournées vers les besoins de base, plutôt les services « modernes », ou par exemple la « start‑up nation » ? On sait bien que le « choix de se soigner » n’est pas une liberté fondamentale, et que la Sécurité sociale est un bien indispensable pour un pays moderne comme la France. Elle est une invention d’Ambroise Croizat, député et ministre communiste, et, bien qu’ancrée dans la tête de la majorité des Français, elle est attaquée logiquement par les néo‑libéraux d’aujourd’hui. La majorité législative actuelle, élue par un bon paquet de Français, veut détruire ce socle fondamental, alors qu’on pourrait très bien le financer et l’améliorer ! Alors choisissez bien vos représentants, car c’est votre vote qui déterminera le devenir de la Sécu, dont le « trou » n’est qu’un leurre. Si vous vous abstenez de voter, c’est que vous soutenez la résolution du problème par l’argent, c’est‑à‑dire une réponse individualiste au problème de la santé, ce qui est parfaitement compatible avec la vision néo‑libérale du gouvernement actuel.
Pour finir en beauté, ce soir‑même a été adopté à l’Assemblée le PLFSS de 2020 : 5,5 milliards d’euros de déficit pour 2019, puis 5,1 milliards en 2020.